- Comment attirer et fidéliser les clients ?
- Comment attirer et fidéliser les employés afin qu'ils puissent mieux servir nos clients ?
SUR LE TERRAIN, À LA RENCONTRE DES CLIENTS
Le bouche-à-oreille joue un rôle énorme dans ce domaine, et fournir un bon service et trouver un différenciateur clair peuvent rapidement attirer de nouveaux patients. Arnaud a une idée très claire de ce qui distingue Aloïs des quelque 233 concurrents présents dans le département : même si l'entreprise a commencé avec l'idée de fournir des soins à domicile aux personnes âgées, elle s'est rapidement tournée vers les personnes en situation de handicap nécessitant des niveaux de soins élevés. Selon Arnaud, c'est un créneau dans lequel Aloïs peut offrir un service de haut niveau que d'autres concurrents plus généralistes ne peuvent offrir. Aloïs propose également un service de soins infirmiers pour les patients trachéotomisés, pour lesquels 50 membres du personnel ont été formés (une compétence rarement disponible chez les concurrents). Mais ce n'est pas tout. S'inspirant de l'idée lean d'aller voir sur le terrain, Arnaud a commencé à programmer des séances de «gemba»[1] de deux heures avec chaque patient Aloïs, chez lui, une fois par trimestre. En mentionnant cela, Arnaud sort de son tiroir une liasse de rapports d'une page pour me montrer comment se déroulent ces visites de «gemba». Lors de chaque visite, le patient et sa famille sont écoutés très attentivement, qu'ils partagent des commentaires positifs ou qu'ils soulèvent un problème, formulent une plainte ou suggèrent une amélioration. "Parfois, j'ai aussi le droit d'observer des opérations comme soulever le patient du lit ou l'habiller, mais les gens sont souvent réticents à partager ce genre d'intimité avec une personne qu'ils ne connaissent pas bien, ce qui est compréhensible. Cependant, lorsque cela se produit, c'est la meilleure occasion que j'ai de détecter les douleurs et les contraintes que nous créons pour eux ", me dit-il. Une telle présence sur le terrain du patron de l’entreprise, dans mon expérience ; c'est du jamais vu, que ce soit dans le monde des soins à domicile ou dans la plupart des entreprises. Ce souci du détail se poursuit avec les employés qui se relaient pour s'occuper des patients, les standards de travail (comment déplacer un patient, par exemple) sont définis, discutés, améliorés et consignés pour chaque patient. L'idée est d'offrir un service parfait, approuvé par le bénéficiaire, mais aussi de permettre une intégration efficace en cas d'arrivée d'un nouvel auxiliaire. Certains de ces standards de travail que nous vérifions lors de ma visite indiquent le "pourquoi", mais Arnaud me dit qu'ils le devraient tous. Il a raison. D'après mon expérience, le pourquoi sur le standard de travail est très important : quand j’accompagne des sessions de résolution de problèmes, je vois de nombreux cas où le problème est en fait une perte de savoir-faire. Les tâches complexes décrites dans un standard de travail seront progressivement contournées parce que personne ne se souvient pourquoi elles doivent être faites, ce qui entraîne invariablement une augmentation des échecs et du «gaspillage». Certaines personnes dans l'entreprise savaient comment le faire à un moment donné, et pourquoi c'était nécessaire, mais comme le travail a été confié à d'autres et que personne n'a retravaillé sur la méthode pour éliminer ces tâches inappropriées, le message a été oublié. Sur le thème des transferts, Arnaud a demandé à ses équipes de développer un protocole de formation très complet pour l'intégration d'un employé chez un nouveau patient, où le chef de groupe supervisera toutes les tâches et gestes nécessaires à ce patient, avant de laisser l'employé seul. L'un des indicateurs fournis par le patient est le sentiment de sérénité et de confiance qu'il éprouve avec le collaborateur d'Aloïs. Arnaud se souvient d'une visite trimestrielle au cours de laquelle il a vu le patient, un homme d'une trentaine d'années en situation de handicap, s'endormir la main de l’auxiliaire reposant sur sa tête. "Quoi de plus serein que ça ?" se souvient-il avoir pensé. Les soins sont importants pour le bien-être des bénéficiaires, mais les stimuli provenant de la vie sociale le sont aussi. Il s'agit d'un aspect important offert par Aloïs, qui, au-delà des activités à domicile, organise un événement trimestriel pour tous les bénéficiaires et leurs auxiliaires, avec des activités allant du théâtre au karaoké, en passant par une visite guidée des vins de Bordeaux ou la fabrication du chocolat. A la mi-2017, Arnaud a été invité à vérifier si cette approche de service ambitieuse n'aurait pas un impact important sur sa marge. Mais il voit les choses d’une autre manière : son intuition est qu'il doit d'abord travailler sur la qualité du service et le reste suivra. Il a raison : à la fin de l'année, la rentabilité était le double du niveau attendu. Comme mentionné précédemment, cette stratégie de différenciation est payante, et la croissance n'est certainement pas un problème pour Aloïs !DEVELOPPER LA CONFIANCE, RETENIR LES TALENTS
A ce moment de ma visite, Arnaud et moi nous nous arrêtons devant un autre ensemble de tableaux de management visuel, où nous démarrons une longue conversation sur le problème d'attirer et de retenir les talents. Le recrutement a été récemment un casse-tête, pour diverses raisons. De nouvelles recrues sont nécessaires à la fois pour développer l’entreprise (il faut parfois jusqu'à six auxiliaires se relayant pour assister un patient jour et nuit, sans parler des remplaçants, au cas où) et pour remplacer ceux qui partent. Pendant que nous parlons, je rédige sur une feuille de papier le modèle causal de cette situation compliquée : Mais le recrutement n'est pas si facile : entre la reprise du marché de l'emploi français et le fait qu'Aloïs n'est pas encore très connu, l'entreprise n’a pas vraiment construit une base solide de candidats potentiels. Dans ce type de scénario, vous avez deux options (aucune d'entre elles n'est idéale) : la croissance s'arrête, ou le personnel d'Aloïs se retrouve aux prises avec une continuité de service à assurer pour les patients 24h/24 et 7j/7 - sans parler des services d’astreinte sur les autres - avec le risque de mettre à rude épreuve des ressources rares et de générer encore plus de « turn-over » ou d'absentéisme. Arnaud confirme les trois mesures qu'il a prises avec ses équipes pour tenter de résoudre ce problème : "Nous avons réfléchi à la manière dont nous pourrions construire une base de données sur des pistes de prospects, en plus du partenariat très solide que nous avons développé avec l'agence locale pour l'emploi (qui comprend un cours de 12 semaines, se déroulant principalement sur le gemba). Et nous avons défini un takt time[2] pour cadencer la réalisation des tâches permettant de construire cette base. Nous suivons maintenant nos réalisations par rapport au takt time." Voir une tâche de bureau pistée au takt time, avec des discussions hebdomadaires sur ce qui est en retard et pourquoi, est une opportunité rare que je saisis avec plaisir. "Deuxièmement, poursuit Arnaud, nous avons essayé d'accélérer notre processus de recrutement. Septembre a vu une amélioration après deux ou trois mois de tension." Enfin, et c'est la partie la plus intéressante, Arnaud et ses équipes ont tenté de s'attaquer aux causes profondes du problème (rotation du personnel et absentéisme). Les maux de dos sont par exemple préoccupants et proviennent du fait que les patients sont parfois réticents à utiliser un équipement compliqué et plutôt humiliant pour se déplacer ou être soulevés. Ils ne sont tout simplement pas conscients de la pression que cela exerce sur les auxiliaires quand ils renoncent à cet équipement. Arnaud envisage d'investir dans des ergosquelettes, similaires aux exosquelettes mais plus légers et plus adaptés pour transférer la force des jambes dans le haut du corps. Une autre cause d'absentéisme est la récurrence des maladies, comme la gastro-entérite : les auxiliaires ne peuvent pas s'approcher des patients quand ils sont malades, il est donc important pour Aloïs de trouver des moyens de prévenir les gastros. Un autre point important est de convaincre les auxiliaires d'accepter d'être de garde. Ils trouvent cela stressant et mal payé. Plus généralement, comme nous en discutons avec Arnaud, le problème est que les quelque 120 auxiliaires d'Aloïs ne sont encadrés que par six chefs de groupe, soit 20 personnes pour un chef de groupe. Compte tenu des visites trimestrielles aux patients, du recrutement et de l'accueil de nouveaux auxiliaires, cela laisse peu de temps pour les kaizen[3], l'amélioration des standards, les points de contrôle quotidiens et les remplacements occasionnels de dernière minute. Arnaud envisage de développer une équipe d'experts pour prendre en charge les astreintes et les affecter en priorité aux nouveaux patients (tandis que les nouvelles recrues seraient affectées aux patients existants, où les standards sont bien connus et acceptés). Ces experts pourraient-ils jouer le rôle de chefs d'équipe, en animant des équipes autonomes plus petites que les équipes actuelles sur le gemba ? Le programme offrirait davantage de possibilités de carrière aux auxiliaires, ce qui augmenterait aussi l’attractivité d’Aloïs comme employeur. Alors que nous terminons la visite, Arnaud et moi discutons longuement de ce qui est fait pour développer les compétences des auxiliaires. Il s'agit d'une autre façon d'aborder la rotation du personnel : si les auxiliaires de vie jouissent d'une plus grande autonomie dans l'exécution de leurs tâches et de la liberté d'améliorer leurs standards, leur intérêt pour le travail augmentera. Arnaud me donne deux exemples : "Nous demandons aux auxiliaires - et non aux chefs de groupe - de définir avec le bénéficiaire le programme opérationnel mensuel des tâches. De plus, lorsque nous établissons la planification pour le mois à venir, nous tenons compte de leurs propres contraintes pour ajuster l'horaire - que ce soit un rendez-vous chez le dentiste ou deux jours de congé pour assister à un mariage. Ils sentent ainsi que leurs besoins sont pris en compte." Le travail d’auxiliaire à domicile est stressant en raison de la gravité de l'état des bénéficiaires, mais c’est une belle mission, parce qu'il représente la seule alternative à l'hôpital ou à un centre de soins. Quand je demande à Arnaud ce qui l'a poussé à quitter la restauration pour travailler dans ce secteur, il prend le temps de réfléchir et dit : " Je voulais retrouver du sens dans mon quotidien professionnel. C'était important pour moi." Article original de Catherine Chabiron, lean coach et membre de l’Institut Lean France, paru le 17 octobre 2018 sur Planet-Lean.com, traduit par Alain Coupeté, révisé par Arnaud Barde. Téléchargez l'article en PDF. [1] Gemba : l’endroit où se déroule l’action [2] Cadencement de taches [3] Amélioration continue d’un procédé pour créer plus de valeurCet article Retenir les talents pour faire la différence est apparu en premier sur Institut Lean France.
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