
La confiance est le moteur de la performance – c’est un thème constant des études récentes qui recoupent neurosciences et management. Ce n’est pas pour autant que des organisations dénuées de confiance ne fonctionnent pas – juste qu’elles fonctionnent mal. La bureaucratie, au sens de règles, de rôles, de division fonctionnelle du travail et de lien de subordination constitue un modèle si robuste qu’il peut aussi bien prendre des formes pathologiques (la pression, la menace et la crainte) que des formes éclairées (le sens, la collaboration, l’esprit d’équipe et la réalisation au travail).
Nous le vivons tous au quotidien. Certaines bureaucraties fonctionnent bien et nous offrent, en tant que clients, des produits sympas et un service prompt, efficace et agréable. On sent bien que les gens qui y travaillent y trouvent leur compte et sont prêts à s’y donner. D’autres fonctionnent mal et nous imposent, par la force de leur quasi-monopole ou de leur taille, des solutions qui ne nous conviennent pas et la frustration constante d’un service abominable. Les personnes que nous y rencontrons sont passives, agressives et mal lunées, visiblement aliénées par leur environnement de travail.
La confiance est l’ingrédient magique au cœur du système qui transforme la même organisation soit en entreprise performante et dynamique où il fait bon travailler, soit en cauchemar dystopique qu’on supporte par faute d’alternatives. Mais comment comprendre « confiance » en pratique ? À quoi doit-on se fier ?
Dans le cadre du travail, la confiance a essentiellement deux dimensions : la confiance dans la compétence de ses managers et la confiance qu’on peut vouer à son équipe :
- Confiance dans la compétence des managers : dans des situations compliquées qui nous dépassent, on voit que les dirigeants savent ce qu’ils font, donnent un sens clair à leurs intentions et prennent des décisions sensées au quotidien, qui ne demandent pas l’impossible ou ne reportent pas la responsabilité sur les équipes de terrain sans s’en soucier.
- Confiance dans son équipe : l’équipe qu’on rejoint le matin est sérieuse sur son engagement à faire du bon travail et détendue dans ses relations personnelles, tolérante des idiosyncrasies des uns et des autres, prête à aider en cas de difficulté et à couvrir en cas d’erreur malencontreuse. On peut partager des informations ou avoir une saute d’humeur malheureuse sans craindre que ce soit utilisé contre vous.
Cela tombe sous le sens, me direz-vous, mais la question est : comment produire cette confiance au quotidien ? Cet équilibre entre sens du projet d’entreprise et confiance individuelle est précisément l’objet du système lean. Le système est un système d’apprentissage fait pour vous mettre en permanence en face d’un choix : investir dans la confiance ou, au contraire, la trahir (on a évidemment toujours plein de très bonnes raisons). Si vous écoutez attentivement, vous pourrez discerner le bras de fer permanent dans les positions des uns et des autres sur chaque sujet :
- Augmenter la satisfaction des clients ou, au contraire, considérer que le produit/service va bien comme il est et qu’il faut trouver une astuce pour en vendre plus/plus cher.
- Considérer la stagnation (files d’attentes, pénuries, stocks, backlogs, produits défectueux, etc.) comme l’occasion d’améliorer la flexibilité et la réactivité aux problèmes des clients ou au contraire l’encourager comme une protection, de manière à ne pas avoir à faire le travail de changer le processus.
- Réagir toujours plus vite aux difficultés techniques rencontrées par les employés pour ne jamais laisser une personne seule face à un problème et monter progressivement en compétence en comprenant l’origine des soucis, ou au contraire laisser les gens se débrouiller avec des situations impossibles en exigeant qu’ils appliquent procédures ou décisions du management.
- Organiser des espaces de partage et d’expérimentation pour que les collaborateurs s’approprient leurs modes de travail et participent volontairement à l’amélioration continue tout en développant leur savoir-faire ou, au contraire, considérer que les processus doivent être conçus et ré-engineerés par des équipes de spécialistes en central, et que les équipes n’ont qu’à se servir des systèmes qu’on leur donne et appliquer ce qu’on leur dit.
- Communiquer sincèrement pour entretenir la confiance mutuelle entre management et collaborateurs en s’assurant d’écouter et en faisant le plus grand effort pour se comprendre, ou, au contraire, essayer de manipuler l’information pour que le message « passe. »
Ces choix quotidiens forment le cœur de réacteur du système lean. Certes, il n’est pas toujours facile de discerner le choix éthique derrière l’outil, la carte kanban, l’appel andon, le standard difficile à suivre, la réclamation client et ainsi de suite, mais pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit. Chaque problème révélé par le système visuel propre au lean est l’occasion de se positionner : va-t-on choisir d’investir dans plus de confiance mutuelle et ainsi de viser la performance aujourd’hui et demain ? Ou va-t-on choisir la voie de la facilité et se défausser parce que c’est plus simple, plus expéditif, plus valorisant, et permet de montrer qui est le chef ? C’est un choix qui se pose sans cesse et qui est sans cesse renouvelé.
Michael Ballé
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