Chloé, en charge du marketing et de la communication chez No Parking (société d'édition de logiciels web installée à Lille) travaille en lien direct avec les autres équipes (développement, relation client...) pour assurer la production et le développement de l’outil de gestion du temps et de suivi d’activité, Opentime. Chloé partage aujourd’hui avec nous son expérience de la période Covid, qui les a amenées à revoir ensemble en profondeur leurs pratiques de travail.
Le confinement a mis en évidence de nouveaux problèmes au sein de l’équipe. Le télétravail, les horaires décalés, la numérisation du management visuel ont entraîné inévitablement leurs lots de difficultés que l’équipe s’est attaché à résoudre. Si jusqu’à présent l'ordre des tickets était géré au quotidien lors du stand up physique dans les bureaux, avec le ticket numérique, les priorités sont devenues plus floues. Pas de visualisation directe du lead time sur les tickets en cours, pas de rencontres physiques et moins de coordination régulière.
Deux problèmes découlant de cette situation ont alors été identifiés dans notre organisation interne. D’une part, il n’y avait pas de logique dans l’ordre des cartes de chacun sur le tableau kanban. Il n'y avait aucune priorisation par la valeur. Les cartes kanbans étaient affichées en fonction de la date de fin estimée. Celles qui n’en possédaient pas apparaissant en dernier ; un ordre peu pertinent.
D’autre part, il était facile de faire modifier les dates de début et de fin des kanbans,ce que nous faisions parfois en fonction de nos envies ou des remarques des clients.
La conséquence était immédiate : de nombreuses cartes kanbans stagnaient au même endroit du processus durant des périodes plus ou moins longues. Elles étaient également repoussées (modification de la date de fin estimée) soit parce que le sujet paraissait moins important que d’autres, soit parce que les tâches étaient trop longues à réaliser, trop compliquées ou la personne en charge n’avait finalement pas le niveau de compétences pour le traiter. Se sont alors posées les questions suivantes : S’agit-il vraiment de sujets à traiter ? Sommes-nous en retard ? Que devons-nous en faire ? Que devons-nous tester pour supprimer ce fonctionnement improductif ?
Piloter les kanbans par la date de lancement
La solution prise chez No Parking a été de modifier drastiquement la gestion des kanbans. D’un pilotage par la date de fin présumée, nous sommes passés à un pilotage par la date de lancement (date à laquelle doit démarrer le travail associé à la carte kanban). Second point important, cette date de lancement ne peut plus être modifiée une fois la date dépassée. Une carte, et une seule, peut toutefois passer en prioritaire (physiquement épinglée en haut de la pile de sujets).
Nous avons également éliminé les cartes kanbans présentes depuis trop longtemps, en nous assurant que les besoins n’étaient plus attendus par nos clients. Après ce nettoyage, nous avons pris la décision de ne pas reproduire ce même problème !
Concrètement, ce changement s’est matérialisé par une modification fondamentale des habitudes de travail des membres de l’équipe,en particulier pour Ophélie en charge de créer les cartes kanbans de l’équipe de développement. Sur notre outil numérique dédié aux kanbans, elle indique désormais, à la création de la carte, la date de lancement en tenant compte des disponibilités de chacun et de la demande initiale du client. Par exemple, un client nous demande d’ajouter une méthode de validation des notes de frais dans l’onglet Ressources Humaines de notre logiciel Opentime. Ophélie affecte ce ticket à Laury dans 2 jours puisqu’elle n’a pas de ticket à réaliser ce jour-là. De plus, il n’y a pas d’alerte pour les tickets sur lesquels elle travaille actuellement et qui doivent se terminer avant la prise en charge de ce nouveau besoin.
Pour moi aussi, dans le secteur du marketing et de la communication, il fallait faire évoluer mes habitudes. Maintenant, j'indique la date de lancement de mes tâches en sachant qu’elle ne pourrait pas évoluer, ce qui m’a permis d’avoir unenouvelle vue ordonnée par date et heure de lancement préétablies. Ce changement m’a amené à plusieurs découvertes : je ne pouvais plus créer de kanbans pour « plus tard / peut-être / si je m’en sens capable » et je devais bien plus considérer le temps que me prendrait chaque sujet au moment de créer le kanban.
L’organisation des kanbans de chacun a ainsi évolué automatiquement, replaçant les actions nécessitant d’être réalisées d’abord (demande client ou anomalie critique à corriger immédiatement en production) au sommet du tableau. L’intérêt de fonctionner avec un logiciel numérique est qu’il nous permet d’avoir une visibilité permanente globale des kanbans et surtout de pouvoir établir des règles sur lesquelles il nous est impossible de tricher.
Une meilleure maîtrise du lead time
Avec cette date de démarrage, notre mesure du lead time est devenue nettement plus réelle et plus précise. Au travers du traitement des écarts que nous pouvons voir sur le tableau kanban, nous tirons un apprentissage plus réaliste du temps réel de chaque demande et une meilleure projection de la durée des futurs sujets.
Le pilotage des demandes par date de lancement a influencé la productivité globale de l’équipe. Au moment de sélectionner la prochaine tâche, il ne s’agit pas pour un collaborateur de choisir en fonction du temps que va prendre un kanban ou de ses goûts, mais en fonction des priorités. La carte kanban traitée en première n’est pas la plus courte mais la plus urgente / importante (valeur) ; ce qui fait évoluer notre productivité.
De manière générale, notre lead time moyen est désormais plus bas et plus constant. En effet, jusqu’en mars 2021, notre lead time moyen par semaine (sur l’ensemble des kanbans des équipes) se situait entre 2 jours (pour les meilleures semaines) et 10 jours (pour les moins bonnes). Depuis, avec la mise en place de ce fonctionnement par date de lancement, il a diminué de moitié pour se situer entre 1 et 5 jours.
Malgré tout, si le lead time maximum par semaine a baissé de 100 à 50 jours, il reste tout de même haut. Avoir identifiés ces maxima, va nous permettre de définir des règles de réaction à travers l’utilisation de l’andon et travailler sur les causes racines pour éviter ces récurrences.
Des apprentissages variés
Un premier apprentissage tiré de cette expérience est la possibilité pour chaque personne d’être plus concentrée sur sa tâche puisque l’organisation se fait au moment de la création des cartes kanbans. Nous passons plus de temps dans la création de valeur que de réfléchir à quelle tâche réaliser en premier !
Cette situation élimine une source de stress, comme me l’ont fait remarquer Quentin et Valentin, stagiaires en développement.
« L’intérêt d’avoir un planning préétabli, de ne pas avoir à le faire soi-même c’est qu’on le voit réellement comme un planning plus que comme des contraintes. » (V)
« Comme il n’y a pas forcément de date de clôture, il y a moins de stress au niveau de la deadline, on sait simplement qu’il faut avancer puisque d’autres kanbans commencent à une date ultérieure. On est moins stressés parce que si on est bloqués par un kanban qu’on a commencé, il y a les andons et le bac rouge.” (Q)
En effet, le développeur sait de lui-même qu’il doit terminer ses kanbans actifs avant que les suivants commencent, mais pour que le système fonctionne, il ne faut pas qu’il reste bloqué. L’utilisation des andons et du bac rouge prend alors tout son sens. Malgré l’interruption de travail d’un membre de l’équipe pour venir en aide à un autre, le travail reste plus rapidement terminé que si aucun support n’eut été apporté. Pour Valentin, « avec cette organisation et notamment le fait de pouvoir plus facilement faire appel à l’andon, quand je commence un ticket je me pose moins la question de savoir si je vais être capable de le faire ».
Cette méthode nous a ainsi permis de mieux identifier nos besoins de compétences. L’impossibilité de faire évoluer la date de fin permet de se forcer à tenter de réaliser une tâche et l’andon vient apporter le support nécessaire pour apprendre auprès des personnes qui ont les compétences, de quoi mieux faire circuler ces dernières !
De manière plus indirecte, avec le travail hybride qui a amené une partie de l’équipe à être en télétravail, cette méthode de gestion des cartes kanbans a permis de mettre en exergue une faiblesse de la polyvalence de notre équipe, due à un manque de compétences. Lorsqu’une personne, qui est la seule à avoir les compétences pour réaliser une action est absente, en congés ou en télétravail et difficile à joindre, sa carte kanban stagne et le lead time augmente. Ainsi, au mois de juillet, nous avons remarqué une nette augmentation de notre lead time moyen et max ! Nous devons donc nous assurer que :
- Les informations circulent avec des échanges constants au sein de l’équipe
- Nous sommes au courant de l’organisation des différents membres de l’équipe
- Nous faisons circuler les compétences entre les différents membres de l’équipe
Pour finir, ce mode de fonctionnement nous a permis d’identifier un lien réel entre l’organisation interne de nos clients et notre production. En septembre par exemple, un de nos clients, qui valide les fonctionnalités que nous développons, était en congés. Nous avons mal anticipé cette période et le lead time des cartes associées à ce client a augmenté sans que nous ayons eu la possibilité d’agir.
Piloter les demandes par la date de début nous a donc permis d’impacter positivement trois points clés du fonctionnement de notre équipe de travail : la productivité, la pression ressentie et l’apport de l’équipe à chacun. Il nous faut désormais utiliser les apprentissages de cette expérience pour voir baisser le lead time maximum de nos kanbans et agir plus fortement sur le service apporté au client.
Note : Retrouvez en vidéo Comment fonctionne le Lean chez No Parking ici : https://noparking.net/post-comment-fonctionne-le-lean-chez-no-parking
Cet article Comment le travail à distance nous a obligés à revoir l’usage de nos cartes kanban est apparu en premier sur Institut Lean France.
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