La presse économique en parle depuis des mois : les robinets du financement des startups sont en train d’être fermés.
Il est facile de dire “la fête est finie”, en pensant aux excès de ces entreprises artificiellement soutenues par les fonds de “Venture Capitalists” vénaux qui jouent au casino. Mais derrière les clichés, faire de grosses levées de fonds n’est pas idiot en soi. On est à l’aise pour parler de business “capital intensive” lorsque l’on construit des usines ou des centrales nucléaires, aussi on peut entendre que pour mettre une entreprise comme LinkedIn ou Uber en orbite il est nécessaire d’atteindre rapidement la masse critique. Le succès attire le succès, il faut tenir le momentum et vite s’établir sur le marché à une taille où le modèle économique est viable, parce qu’une croissance purement organique serait trop lente pour que le projet ait une chance de réussir.
Pour autant, la fête - au moins provisoirement – est finie. Les fonds s’assèchent, nombre de startups en viennent à devoir réduire la voilure. Les recrutements sont plus ou moins gelés, et il faut parfois laisser partir une partie des effectifs. Comment faire maintenant ?
La feuille de route classique est bien connue : on coupe les activités non essentielles et on cherche des gains de productivité à tout prix pour réduire le “burn rate”, c’est-à-dire la vitesse à laquelle la startup brûle le capital qu’elle a levé. Mais c’est là le piège !
Les entreprises tech sont par nature tournées vers l’équation “productivité = automatisation”, et ce n’est pas surprenant. Quand tout votre business est construit sur l’idée de remplacer le travail humain par des algorithmes, il est tentant de ne chercher que ça partout. Pour celui qui tient un marteau, tout est un clou ! Pourtant, c’est de l’autre côté de l’automatisation que tout se passe.
Marc Andreessen, le co-fondateur de Netscape devenu par la suite l’investisseur légendaire derrière des succès comme Twitter, Facebook ou LinkedIn, est aussi connu pour son expression “Software is eating the world” — le logiciel dévore le monde. Mais que reste-t-il quand le logiciel a fini de manger ce qu’il pouvait ? Il reste l’expertise humaine, la finesse du geste. Chez les (bons) programmeurs, on appelle ça le “craft”.
Comment trouver le bon mot, la bonne analyse, le dispositif ingénieux, lorsqu’on est un commercial qui mène une vente B2B complexe avec les décideurs d’une grande entreprise ? Comment poser les bonnes questions, regarder ce qu’il faut sur le terrain, lire entre les lignes dans chaque conversation, lorsque l’on est un responsable produit qui cherche l’idée astucieuse qui fait gagner un temps considérable à des milliers de personnes avec une poignée de lignes de code seulement ? Et si l’on est un responsable marketing, comment tourner un post social media ou concevoir une “Landing Page” qui crée en quelques secondes chez son audience un attachement émotionnel profond envers la marque, ainsi qu’une envie irrépressible d’acheter le produit là, tout de suite ?
Mécaniser toutes ces tâches revient à les tuer, parce qu’une fois transformées en process les personnes qui s’y emploient perdent la capacité à s’adapter finement à des situations variées et changeantes. A l’inverse, réussir le geste, c’est créer plus de liens avec ses clients, mais c’est aussi la source première de productivité : le geste bon du premier coup, l’économie de mouvement.
Et ce qui est frappant, c’est qu’autant la modélisation des données, la conception des algorithmes et l’optimisation des processus sont des savoirs maîtrisés, autant le développement de l’expertise reste de l’ordre du magique. “Ca prend des mois ou des années d’apprendre ce job, il faut avoir un certain talent et se planter dans plein de situations”, dira un expert. C’est vrai, mais faut-il pour autant se contenter de recruter des gens sur-diplômés et les laisser se débrouiller seuls pour cueillir deux ans plus tard les quelques-uns qui ne seront pas partis découragés et épuisés ? On ne peut pas faire mieux que ça ?
La clef, c’est d’accepter que l’apprentissage se fait en fabriquant des choses et en résolvant les problèmes que l’on rencontre. L’écrivain progresse en écrivant des livres, le commercial progresse en produisant des propositions commerciales, le responsable marketing progresse en produisant des campagnes.
C’est ainsi que l’on peut comprendre en quoi le lean n’est pas un système d’optimisation, mais un système d’entraînement. Faisons par exemple le parallèle avec le tennis. Le kanban, c’est la machine à balles. Le team leader, c’est le coach qui donne des conseils au joueur à chaque geste pour l’aider dans sa pratique délibérée. Le kaizen, c’est le moment après le match où l’on prend du recul pour améliorer une partie du geste. La recette pour entraîner des champions est dans le fond parfaitement connue.
Alors oui, les robinets du financement se ferment. Et si c’était le moment d’intensifier l’entraînement, pour trouver un modèle de productivité plus moderne, découvrir de nouvelles façons de soutenir les clients et ressortir en meilleure forme de la crise ?
Régis Medina
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